Le procès de trois anciens cadres d'Ubisoft pour harcèlement sexuel et moral s'ouvre aujourd'hui à Bobigny. Un nouveau coup dur pour le fleuron français du jeu vidéo, déjà fragilisé par des difficultés financières.

Cinq ans après les révélations qui avaient secoué le monde du jeu vidéo, l'ex-directeur créatif Serge Hascoët, l'ancien vice-président Tommy François et l'ex-game director d'Ubisoft Guillaume Patrux comparaissent dès ce lundi 10 mars devant le tribunal correctionnel pour une durée prévue de cinq jours. L'affaire, mise au jour par Libération en juillet 2020, avait provoqué une onde de choc dans l'industrie et forcé l'entreprise à se séparer des trois prévenus, qui contestent les faits qui leur sont reprochés.
Un « boy's club » toxique au sommet d'Ubisoft
Les accusations dressent un tableau alarmant de la culture d'entreprise qui régnait au siège d'Ubisoft à Montreuil. Tommy François concentre la majorité des témoignages accablants, avec selon le rapport Altaïr, « 23 témoignages faisant état de faits d'attouchements corporels » et « 30 relatant des propos à caractère sexuel et sexiste non désirés ». Des employées rapportent notamment qu'il diffusait des films pornographiques dans l'open space et commentait régulièrement leur physique.
Serge Hascoët, longtemps considéré comme le cerveau créatif derrière les succès d'Ubisoft comme Assassin's Creed et Far Cry, est accusé de comportements inappropriés. Une assistante musulmane témoigne d'actes racistes après les attentats de 2015, incluant des images de sandwich au bacon sur son ordinateur et de la nourriture déposée sur son bureau pendant le ramadan. En garde à vue, l'ancien directeur créatif nie ou évoque « la fatigue » et son « rythme de travail très soutenu ».
Quant à Guillaume Patrux, certes moins connu du public, celui-ci est décrit comme un manager impulsif, capable de mettre des coups de poing dans les murs ou d'agiter un fouet près du visage de ses collaborateurs. Un plaignant lui reproche par exemple d'avoir jeté une clé Allen dans ses jambes, après un simple désaccord en réunion. Il est également accusé d'avoir envoyé des e-mails dégradants qualifiant ses équipes de « gros nazes » dont « le manque global de compétence » le laissait « coi ». Libération évoque même aussi une menace de mort à l'encontre d'une de ses collègues.
Un procès qui pourrait s'étendre à la direction
Cette procédure judiciaire, inédite dans l'industrie du jeu vidéo, doit sa tenue à la démarche de six plaignants, dont deux ex-assistantes de direction et une plainte émanant du syndicat Solidaires Informatique. Contrairement aux scandales similaires chez d'autres éditeurs comme Activision Blizzard, où les plaintes ont été systématiquement réglées à l'amiable, ce procès est une première historique pour le secteur.
Le syndicat Solidaires Informatique a annoncé qu'une citation directe sera délivrée dans la continuité de ce procès, pour tenter de faire comparaître ultérieurement Yves Guillemot, le PDG d'Ubisoft, mais aussi une directrice des ressources humaines, et la société en tant que personne morale. Cette seconde procédure vise à « mettre en valeur le caractère systémique du harcèlement » au sein de l'entreprise. Le syndicat dénonce un « ADN » inchangé, malgré les mesures prises depuis 2020.
Ce contexte judiciaire plutôt grave et brûlant s'ajoute pour Ubisoft à une crise économique majeure. L'entreprise a annoncé un plan d'économies de plus de 200 millions d'euros et la fermeture de trois studios suite aux performances décevantes de plusieurs jeux récents.
La sortie d'Assassin's Creed Shadows, reportée à plusieurs reprises, est désormais prévue pour le 20 mars, tandis que des rumeurs persistantes évoquent des négociations avec le géant chinois Tencent pour un possible rachat. Les temps sont durs pour le fleuron hexagonal du jeu vidéo.