Compte tenu d'un déséquilibre entre une production électrique en forte croissance et une consommation qui augmente plus lentement, le Gouvernement revoit à la baisse ses objectifs de développement du photovoltaïque dans sa nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Une décision qui affecte la filière solaire.

Selon Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables, « La filière du solaire souffre d’être la dernière arrivée dans un système électrique français dont l’offre dépasse en ce moment la demande » - © zstock / Shutterstock
Selon Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables, « La filière du solaire souffre d’être la dernière arrivée dans un système électrique français dont l’offre dépasse en ce moment la demande » - © zstock / Shutterstock

La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) dans sa troisième édition, mise en consultation le 7 mars 2025, modifie considérablement les ambitions françaises en matière d'énergie solaire. Les objectifs de capacités installées pour 2030 passent d'une fourchette de 54 à 60 gigawatts (GW) à un maximum de 54 GW. Pour 2035, la cible haute est réduite de 100 GW à 90 GW. Le rythme de développement annuel, initialement fixé à 4 GW, sera ajusté à partir de 2028-2029 en fonction de l'évolution de la consommation d'électricité, avec un plafond de 7 GW par an.

Et c'est au moment où la filière solaire enregistre une progression record en 2024 que cet oiseau de mauvais augure vient se poser sur la filière. Parallèlement, le Gouvernement prévoit de réduire le soutien public à certaines installations, notamment en diminuant le tarif d'achat de l'électricité produite par les petites et moyennes installations sur toiture.

Le solaire devient la variable d'ajustement d'un système électrique en déséquilibre

Le secteur photovoltaïque subit les conséquences d'un système électrique où l'offre dépasse actuellement la demande. « La filière du solaire souffre d'être la dernière arrivée dans un système électrique français dont l'offre dépasse en ce moment la demande », explique Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables. Ce déséquilibre se manifeste concrètement par le phénomène des prix négatifs, qui a représenté 235 heures au premier semestre 2024, soit 5,4% du temps selon la Commission de régulation de l'énergie.

Des acteurs du secteur nucléaire poussent également dans le sens d'un ralentissement des renouvelables. EDF a ainsi fait savoir qu'elle trouvait les ambitions en matière de solaire « trop élevées ». L'entreprise précise que « les débouchés du parc nucléaire se réduisent déjà et les fortes variations de puissance demandées font apparaître des contraintes sur les équipements et les organisations jamais rencontrées jusqu'alors ». Dans la même veine, Vincent Berger, haut-commissaire à l'énergie atomique, estime que la croissance du photovoltaïque doit être revue à la baisse pour éviter une « surproduction très pénalisante pour le consommateur ou pour le contribuable ».

Michel Gioria, délégué général de France Renouvelables, reconnaît cette problématique économique : « Les investissements dans les renouvelables coûtent plus cher s'il y a moins de clients. Il est légitime de s'inquiéter pour l'économie générale du système ». Toutefois, les exportations d'électricité ont rapporté 5 milliards d'euros en 2024. Elles ont donc largement contribué à rendre positive la balance commerciale française.

« Tout ce qui est produit sur notre territoire avec du bas carbone est bon à prendre, a rappelé de son côté, le 3 mars, Thomas Veyrenc, le directeur général de l’économie et de la stratégie du gestionnaire de réseau RTE - © Leitenberger Photography / Shutterstock
« Tout ce qui est produit sur notre territoire avec du bas carbone est bon à prendre, a rappelé de son côté, le 3 mars, Thomas Veyrenc, le directeur général de l’économie et de la stratégie du gestionnaire de réseau RTE - © Leitenberger Photography / Shutterstock

Les professionnels de l'énergie solaire dénoncent l'instabilité créée par les nouvelles orientations gouvernementales

Du côté de la filière photovolaïque et solaire, ces changements d'orientation font tomber de la chaise. Daniel Bour, président du syndicat professionnel Enerplan, regrette que « la filière apparaisse comme la seule variable d'ajustement » dans la gestion de l'offre et de la demande d'électricité. Les professionnels s'inquiètent particulièrement du manque de visibilité à long terme.

Hadrien Clément, président du groupement Le Solaire territorial et directeur général d'Orion Energies, dénonce le fait que seule la filière solaire voit ses objectifs directement corrélés à l'évolution de la consommation : « C'est contraire à l'objectif d'une programmation pluriannuelle qui doit fixer des objectifs à moyen et long terme. Nous investissons sur vingt ou trente ans, nous ne pouvons pas avoir des effets de "stop and go" permanents ».

Laëtitia Brottier, fondatrice de Dualsun, l'un des rares fabricants de panneaux solaires encore actifs malgré la concurrence chinoise, partage ce sentiment : « Il y a un côté déstabilisant, car la filière avait entrepris des efforts pour accélérer ». Bercy rappelle cependant que la PPE étant révisée tous les cinq ans, les ambitions de toutes les filières sont régulièrement ajustées.

La proposition gouvernementale de diminuer fortement le tarif d'achat de l'électricité produite par les petites et moyennes installations sur toiture, avec un effet rétroactif, provoque naturellement une levée de boucliers. Selon la filière, cette mesure équivaudrait à instaurer un moratoire de fait sur tout nouveau projet, dans l'attente d'un nouveau mécanisme. Le Conseil supérieur de l'énergie a d'ailleurs adopté, le 6 mars, un avis appelant le gouvernement à revoir sa copie.

Certains experts avance des alternatives. Bastien Cuq, responsable de l'énergie du Réseau Action Climat, souligne que « la croissance du solaire doit s'accompagner du développement d'autres moyens de production complémentaires, comme l'éolien, et de moyens de flexibilité et de stockage ». Thomas Veyrenc, directeur général de l'économie et de la stratégie du gestionnaire de réseau RTE, a quant à lui rappelé le 3 mars que « tout ce qui est produit sur notre territoire avec du bas carbone est bon à prendre. L'enjeu principal est de mettre en œuvre en pratique la dynamique de substitution entre électricité et fossiles ».

La solution pourrait résider dans l'accélération de l'électrification des usages, alors que l'exécutif a revu à la baisse le soutien à la mobilité électrique et à la rénovation des bâtiments. La nouvelle version de la PPE prévoit d'ailleurs l'élaboration d'un « tableau de bord de l'électrification » ainsi qu'« un suivi et un pilotage » de ce dossier.

Source : Le Monde (accès payant)