Plus au Sud que le désert de Jiuquan, moins encaissé que les vallées de Xichang, le site de lancement de Taiyuan est le troisième site « historique » pour les fusées chinoises. Les décollages s'y enchainent à bonne cadence… mais dans le silence. Le site, très important pour les militaires, est sous bonne garde.
On n'y envoie pas que des fusées vers l'espace.
Un peu de place dans les collines
Niché dans une zone de moyenne montagne à 1 500 m d'altitude, le site de lancement de Taiyuan partage quelques caractéristiques avec les sites des Jeux olympiques d'hiver de 2022. Il y fait très froid en hiver, il y neige peu, et cette région du Shanxi chinois (à 300 km à l'Ouest de Pékin) n'est pas très passante. Elle est pourtant accessible via une voie de chemin de fer, aussi le site de Taiyuan génère rapidement un intérêt pour les militaires. D'abord, comme d'autres sites établis lors de la guerre froide, la base n'est pas à Taiyuan même : la cité est située à 180 km de là. Ensuite, géographiquement, c'est intéressant… pour les missiles balistiques. La Chine disposant en effet de centres technologiques et d'une grande concentration d'habitants à l'Est, les tests de missiles se font vers l'Ouest. Or depuis Jiuquan, qui est proche de la frontière, c'est compliqué. Il y aura donc une base à Taiyuan, d'autant que le site est dans un enchaînement de collines. La base est active en 1968.
Pour les lancements de satellites, on le sait, la Chine aura été lente à démarrer ses activités. Pour Taiyuan, longtemps elle n'en a même pas eu besoin ! Mais le site est bien placé pour les décollages à des orientations polaires. La Chine y enverra le tout premier satellite météorologique du pays, Fengyun-1A, pour inaugurer le site de lancement ZL-7, tout neuf (et son lanceur CZ-4A qui ne sera pas pérennisé). Un succès qui va faire lentement changer de visage le site de Taiyuan… Mais pas avant la fin des années 90. En effet, après deux décollages seulement de CZ-4A, le site ZL-7 est d'abord inactif. Puis il est modifié à partir de 1994, dans une optique commerciale.
Venez décoller (discrètement) à Taiyuan !
En effet, juste après la guerre froide, la Chine d'alors n'est pas mise au banc des autres nations spatiales. C'est même une entreprise américaine qui veut envoyer des satellites pour construire sa constellation globale de satellites de communication en orbite basse : Iridium ! Ce qui n'est alors que le troisième vol orbital depuis le site de Taiyuan a lieu le 1er septembre 1997, avec un nouveau lanceur, CZ-2C, équipé d'un petit étage supérieur à propulsion solide. Les vols s'enchaînent jusqu'à juin 1999, faisant connaître le site de Jiuquan à l'international, avec une excellente réputation puisque ce sont tous des succès. En 1999, une autre collaboration très importante décolle de Taiyuan : le satellite CBERS-1, conçu en partenariat avec le Brésil. Mais c'est la fin de la période faste des satellites commerciaux étrangers : les Etats-Unis sont en froid, Iridium a fait faillite, Taiyuan redevient calme… Du moins pour les fusées. La Chine y teste toujours ses missiles, y compris ses premiers exemplaires hypersoniques.
Du calme jusqu'à l'industrie
Entre 2000 et 2002, il n'y a pratiquement pas de décollages depuis Taiyuan. Comble de malchance, le dernier vol prévu pour la fusée suborbitale CZ-1D échoue. Mais la disette est bientôt terminée : l'ère des satellites d'observation et des ambitions scientifiques chinoises en orbite polaire débute, en même temps que le lanceur qui les enverra là-haut, CZ-4B. Au début des années 2000, les équipes sur place sont de plus en plus sollicitées pour des lancements spatiaux. Un, puis deux à trois tirs sont prévus chaque année, et les responsables identifient le besoin de changer de site de lancement pour une infrastructure plus souple d'emploi et plus moderne. Ils font donc construire au sein de la base, la zone de lancement 9 (ZL-9). Cette dernière est inaugurée en 2008 et prend quasi-immédiatement la relève, avec la capacité d'accueillir CZ-2C, CZ-4B et CZ-4C. Elle évoluera dans la décennie suivante pour accueillir le véritable « cheval de trait » du spatial chinois en orbite basse, CZ-2D, à partir de décembre 2016. Aujourd'hui, la base accueille entre 10 et 20 tirs vers l'orbite chaque année.
Silence radio
Il y a eu plusieurs échecs de vol depuis le site de Taiyuan, bien qu'aucun d'entre eux ne semble avoir détruit les infrastructures. Et à vrai dire, on n'en sait pas beaucoup plus : le site est très grand et très bien surveillé, et la communication y est réduite au strict minimum. Impossible, parfois, de savoir quel étage de la fusée n'a pas fonctionné. D'autre part, à cause de sa position géographique assez centrale en Chine, Taiyuan est un site qui participe à la réputation exécrable du pays en matière de sécurité des tirs, avec des étages de fusée retombant sur des routes, granges ou même de petites villes. Que les habitants reçoivent des lettres et des avertissements multiples pour évacuer les zones ne rend pas la perspective beaucoup plus attrayante. Néanmoins, c'est aussi depuis Taiyuan qu'ont eu lieu les premiers essais de fusées chinoises avec des grilles de stabilisation, utilisées après la séparation avec les étages supérieurs pour rentrer s'écraser sur une zone bien précise (et loin des habitants).
Comment sera le Taiyuan de demain ?
Les variantes des fusées CZ-2 et CZ-4 font partie d'une génération ancienne, qui n'a pas encore disparu mais qui sera éventuellement remplacée par de nouveaux modèles. Mais ces dernières années, il y a eu de grands efforts pour moderniser Taiyuan. Depuis 2015, le petit lanceur CZ-6 dispose d'un site de lancement dédié, et même de deux, puisqu'une nouvelle extension a été inaugurée début 2022 (le LZ-9A) avec la fusée CZ-6A (laquelle a peu en commun avec CZ-6… nous y reviendrons). Mais à Taiyuan, on a aussi vu… les camions. Mais si, les grands camions de l'entreprise Expace, qui transportent la fusée Kuaizhou-1A ! En décembre 2019, l'entreprise réussit d'ailleurs un record chinois en faisant décoller deux fusées identiques depuis Taiyuan, avec moins de six heures d'écart.
Dans un avenir proche, le site de Taiyuan devrait garder une place prépondérante dans le paysage des décollages chinois vers l'orbite. Il s'agit toujours d'une base de tests pour missiles, et l'Etat investit pour baser sur place de futures générations de lanceurs réutilisables. Une recette qui marche…